Archives de Catégorie: Biopic

Le Molière imaginaire

Un exercice de style épuisant

Après une tentative au cinéma en 1999, – n’oublions pas qu’Olivier Py est avant tout un brillant metteur en scène de théâtre -, qui s’est avérée plutôt confidentielle, notre cinéaste du jour revient en force avec une énorme distribution, un budget conséquent et une ambition débordante. Après avoir vu ces 94 minutes virevoltantes et… épuisantes, je doute fort que son chemin passe par le 7ème Art. Paris, 17 février 1673. Comme tous les soirs, Molière monte sur la scène du théâtre du Palais-Royal pour jouer Le malade imaginaire. Ce sera sa dernière représentation. Un étrange biopic qui ne dit pas son nom, un seul plan séquence virtuose, – entièrement éclairé à la bougie -, de l’outrance, de l’audace… une ode enflammée au théâtre qui manque furieusement de simplicité.

Tout est incroyablement criard dans ce film. Les voix, les couleurs, les sentiments, tout est ici outrance et démesure. Je ne suis pas bien sûr que Molière sorte grandi de l’exercice. Et pourtant, on ressent l’amour halluciné de Py pour son sujet, mais là, en l’occurrence, la démonstration tombe à plat à trop vouloir montrer… ou démontrer. La volonté de filmer l’artificialité théâtrale pour cette mise en abyme de l’adieu tragique au génie de Molière manque cruellement d’impact émotionnel. Les acteurs et les actrices sont ici manipulés comme des marionnettes dans un castelet sang et or, jusqu’à leur faire débiter des dialogues sentencieux du style : la vie, c’est du théâtre… le théâtre, c’est la vie. Olivier Py confond ici agitation et virtuosité prouvant, s’il en est encore besoin, que ce qui marche au théâtre marche rarement au cinéma.

Laurent Lafitte, est un immense acteur et campe un Molière plus que plausible. Il est le seul avec l’adorable Stacy Martin à tirer son épingle du jeu torturé imposé par le réalisateur. Bertrand de Roffignac, Jean-Damien Barbin, Jeanne Balibar, en font des tonnes comme tout le monde. Mais je ne saurais oublier de citer l’irrésistible trio de marquises commères formé par Dominique Frot, Judith Magre et Catherine Lachens – qui nous a quittés en septembre dernier et dont ce sera la dernière apparition à l’écran -. Franchement évitable, ou alors sous Primpéran.  

La nouvelle femme

La pédagogue et la cocotte

Voici 100 minutes à ne pas rater. Ce drame historique, 1er film de Léa Todorov, a reçu la Salamandre d’Or bien méritée au festival de Sarlat. En 1900, Lili d’Alengy, célèbre courtisane parisienne, a un secret honteux – sa fille Tina, née avec un handicap. Peu disposée à s’occuper d’une enfant qui menace sa carrière, elle décide de quitter Paris pour Rome. Elle y fait la connaissance de Maria Montessori, une femme médecin qui développe une méthode d’apprentissage révolutionnaire pour les enfants qu’on appelle alors « déficients ». Mais Maria cache elle aussi un secret : un enfant né hors mariage. Ensemble, les deux femmes vont s’entraider pour gagner leur place dans ce monde d’hommes et écrire l’Histoire. Un biopic mêlé de fiction très habile et qui nous apprend beaucoup sur une pédagogue pas comme les autres. Passionnant.

Un film d’un féminisme intelligent qui mériterait bien le prochain prix Alice Guy de 2024. La rencontre de ces deux femmes – l’une inventée de toutes pièces, l’autre devenue au fil du 20ème siècle, une égérie de la pédagogie active -, nous montre comment, dans une époque vouée au patriarcat, la gente féminine pouvait se faire une place dans la société. L’une en jouant de ses charmes – tarifés -, l’autre par la recherche scientifique, la connaissance et la… persévérance. Elles sont toutes deux liées par le même drame : leur enfant « différent » dont personne ne veut réellement s’occuper ; on parlait alors de « secret honteux ». Ce lien entre deux personnes aux antipodes l’une de l’autre évite de nous infliger un biopic classique, distant et purement hagiographique. Le scénario sait éviter la facilité du pathos ou du tire-larmes, pour nous proposer un moment de délicatesse à la pudeur inouïe. Pour moi, un film incontournable.

Leïla Bekhti surprend dans ce rôle dramatique qui lui colle à la peau. Jasmine Trinca est une immense actrice, déjà couverte de prix à Cannes, Venise, Berlin. Elle trouve peut-être ici son meilleur rôle à ce jour, en tout cas un des plus complexes. Mais l’enchantement nous vient de la petite Rafaëlle Sonneville-Caby, jeune handicapée mentale française qui parvient à jouer en italien et qui se révèle absolument bouleversante. Tout comme les autres enfants présents à l’écran dans ce film. Une performance. Suivez mon conseil, vous ne le regretterez pas.

Boléro

Les tourments de la création

Anne Fontaine change de genre de films comme de chemise. Mais quoi qu’elle fasse, j’aime son cinéma. De Nettoyage à sec en 1997… ça fait un bail, à Présidents en 2021, elle nous a régalés avec Comment j’ai tué mon père, Entre ses mains, Perfect Mothers, Les innocentes, Marvin ou la belle éducation, Police, Blanche comme neige, que du bon, voire du très bon. Alors ces 120 minutes étaient attendues avec autant d’impatience que de curiosité. En 1928, alors que Paris vit au rythme des années folles, la danseuse Ida Rubinstein commande à Maurice Ravel la musique de son prochain ballet. Tétanisé et en panne d’inspiration, le compositeur feuillette les pages de sa vie – les échecs de ses débuts, la fracture de la Grande Guerre, l’amour impossible qu’il éprouve pour sa muse Misia Sert… Ravel va alors plonger au plus profond de lui-même pour créer son œuvre universelle, le Bolero. Deux heures pour nous camper un Ravel fidèle à la légende de son personnage mais très éloignées de la véritable histoire de l’œuvre la plus célèbre du monde – il ne se passe pas un ¼ d’heure sans que le Boléro ne soit joué quelques part sur notre planète -, qui s’avère hélas bien plus prosaïque que ce beau drame romantique. Un faux biopic, une vraie réussite.

Le bémol – c’est le moment où jamais – que j’ai signalé plus haut n’est réservé qu’aux spécialistes de l’histoire de la musique et encore plus, de celle de Ravel. Mais oublions pour se concentrer sur le cinéma. Et là, il y en a partout et à chaque instant. Le film est très réussi, la reconstitution très fidèle et la romance, tout empreinte, de mélancolie joliment écrite, mise en scène et interprétée. 1ère belle idée, les premières images où l’on voit s’entremêler les nombreuses adaptations de la partition immortelle à travers le monde. Oui, le Boléro est une œuvre universelle et son compositeur une énigme. Introverti, insaisissable, distant et tourmenté, tous ces aspects sont parfaitement rendus. Le tournage a pu s’effectuer dans la vraie maison de Ravel, à Montfort-l’Amaury et la photographie de Christophe Beaucarne fait merveille. Après, ce n’est que plaisir de la scénariste de lui faire croiser – et nouer des liens fantasmés – avec des figures de l’époque comme Misia Sert ou Ida Rubinstein. Un très beau film porté par un casting ***.   

Raphaël Personnaz inonde l’écran – qu’il ne quitte pas -, de son talent et de sa présence en incarnant pourtant un homme plus qu’introverti. Une performance, le film lui doit beaucoup. Il est très entouré par une ronde de femmes, Doria Tillier, Jeanne Balibar, – somptueuse -, Emmanuelle Devos, Sophie Guillemin, Anne Alvaro, Marie Denarnaud. On ajoutera la présence de Vincent Perez et du pianiste virtuose Alexandre Tharaud qui a supervisé toute la partie purement musicale du film tout en acceptant d’y tenir le rôle d’un pur salaud. Mozart, Berlioz, Beethoven, Mahler, Schubert avaient eu droit à leur biopic. L’immense Ravel valait bien ce beau moment de cinéma… et puis, quelle musique !

Bonnard Pierre et Marthe

Pas si bonnard que ça

Martin Provost reste à jamais le réalisateur en état de grâce de Séraphine. Ce serait trop vite oublié Violette, Sage femme, ou La bonne épouse. Ces 122 minutes – un peu longuettes -, prouvent, s’il en est encore besoin, que le bonhomme sait faire. Pierre Bonnard ne serait pas le peintre que tout le monde connaît sans l’énigmatique Marthe qui occupe à elle seule presque un tiers de son œuvre… Reste que faire beau ne fait pas forcément un bon film. CQFD !

Ma relative déception face à ce biopic à deux têtes vient pas de la forme, avec ses magnifiques lumière et photographie, son souci du détail dans les costumes et les décors et sans doute, – je vous avoue ne pas avoir vécu la période des nabis -, l’ambiance de création et de mondanités de cette époque. Tout cela est un régal. Non, ce qui m’a gêné c’est choix scénaristique d’avoir entouré le peintre de trois femmes dont on ne met en exergue pratiquement que l’hystérie. .. Et je suis désolé, mais les scènes d’hystérie, ça m’épuise et me lasse très vite. Au point qu’un des climax du film, le déjeuner avec Misia et son nouveau mari Alfred, les Monet et Vuillard a été entièrement inventé. Je regrette mon état d’âme car le film est superbe et on apprend beaucoup de choses sur ces deux personnages. Sensuel, érotique, épicurien, fort bien documenté, et surtout porté par une merveilleuse distribution, ce drame n’est hélas pas exempt de mélo et d’outrance.

Cécile de France réalise une performance étonnante dans le rôle d’égérie, de muse… et d’épouse. Excellent choix, tout comme celui de Vincent Macaigne, lui aussi très à son avantage dans la peau du peintre. Stacy Martin, Anouk Grinberg, André Marcon, Grégoire Leprince-Ringuet, jouent eux aussi des partitions pleines force et de finesse. Las, le schématisme du scénario laisse à croire que la vie privée est la seule explication d’une œuvre majeure. Beaucoup de qualités et de bonne intentions mais, je le répète des choix scénaristiques discutables.

Priscilla

Sur papier… glaçant

C’est un peu méfiant, que je suis allé voir le nouveau film de Sofia Coppola. D’abord parce que ses dernières réalisations ne m’avaient pas franchement emballé, voire vraiment ennuyé, et aussi parce qu’elle a ce qu’on appelle « la carte » et qu’il est de bon ton de s’extasier devant les films de la fille du grand Francis Ford. 113 minutes plus tard, mon avis n’a pas changé, Sofia Coppola m’emmerde. Quand Priscilla rencontre Elvis, elle est collégienne. Lui, à 24 ans, est déjà une star mondiale. De leur idylle secrète à leur mariage iconique, Sofia Coppola dresse le portrait de Priscilla, une adolescente effacée qui lentement se réveillera de son conte de fées pour prendre sa vie en main. C’est beau comme un magazine de mode, froid comme la banquise – avant le réchauffement climatique -, impersonnel comme le discours d’un politique un jour d’inauguration de crèche, utile comme la pilule du lendemain chez les amish… bref d’un ennui profond. 

Le spectateur s’ennuie presqu’autant que l’héroïne… et ce n’est pas peu dire. Après sa rencontre avec Elvis, dès son installation à Graceland, on lui offre un caniche et se trouve rabaissée au rang d’animal de compagnie. Le personnage du King est tellement outré dans la bassesse, la vulgarité et la beauferie qu’on a du mal à y croire. Mais miss Coppola a décidé de nous offrir – quel cadeau ! -, une version #Metoo des amours d’Elvis et de Priscilla. Le parti pris – influencé par une adaptation sans grand recul de l’autobiographie signée Priscilla Presley-Beaulieu -, est trop évident pour emporter les suffrages. Certes, le film, au demeurant très bien tourné avec un grand souci du détail, lève sans doute un certains nombres d’aspects restés jusque là dans l’ombre du mode fonctionnement d’un couple hors normes qui aura tout de même duré 10 ans !!! Le problème majeur dans ce biopic, c’est que, même présentée comme une victime, on ne ressent aucune empathie avec cette enfant puis la jeune adulte et enfin la maman. La réalisatrice, longtemps maniériste, usant d’effets de flous, de scintillements et de jeux de couleurs, semble s’être débarrassée de la plupart de ses tics, mais sa fascination pour les gosses de riches reste chevillée au corps, et, je l’avoue, personnellement, je n’arrive que rarement à me passionner pour ses personnages. Un jour peut-être,,,   

Cailee Spaeny a remporté la Coupe Volpi de la Meilleure actrice au Festival de Venise 2023. On ne peut que reconnaître la force de son interprétation. Face à elle, l’australien Jacob Elordi a à peu près le charisme d’un guéridon de chez Lévitan. Les autres, comme Dagmara Dominczyk ou Ari Cohen, ne font que de brèves apparitions. Quand on pense que voilà un film sur le couple Presley et qu’on n’entend pas une note de la musique de la légende du rock. Frustrant ! Mais s’il n’y avait que ça. L’inertie qui plombe les films de Sofia Coppola – certains diront qu’elle les sublime -, ne me stimule en aucun cas, et me terrasse totalement. Ce n’est que mon avis… et je le partage. Et vous ?

Napoléon

A la serpe

Dans la série, Jipéhel vous présentent ses meilleurs vieux, après, Woody Allen, Scorcese, Ken Loach, Bellocchio, voici Ridley Scott, 85 ans aux pommes, et son biopic tant attendu et sur lequel il y a tant à dire. Une fresque spectaculaire, – selon le dossier de presse -, qui s’attache à l’ascension et à la chute de l’Empereur Napoléon Bonaparte. Le film retrace la conquête acharnée du pouvoir par Bonaparte à travers le prisme de ses rapports passionnels et tourmentés avec Joséphine, le grand amour de sa vie. Tout bien quoi ! Mais voilà, Sir Scott est anglais et donc ô combien partisan dans sa présentation de l’Histoire de France. Mais, je ne vais pas ici, m’ingénier à démonter l’interprétation – parfois douteuse – que le cinéaste a décidé de faire de la grande Histoire. Non, je me contenterai de parler de cinéma, et déjà, là, il y a beaucoup à dire. Une grosse déception !

Alors, d’emblée qu’on ne me fasse pas dire ce que n’ai pas écrit. Ridley Scott est un grand réalisateur et il excelle dans les scènes de grande ampleur – vive l’ampleur ! -, Mais il y a, à mon humble avis, deux très gros reproches à faire à ce blockbuster à très gros budget : il y avait, selon les dires du cinéaste, 3 facettes de Napoléon qu’il voulait traiter, le stratège, l’amoureux et l’homme politique. Cette dernière est à peine effleurée. Peut être est-elle tombée sous les coups de ciseau de l’ultime montage. Et c’est là le plus gros reproche. Le film initial dure 4 heures et demie. Pour les besoins de sa sortie sur les écrans, il n’en subsiste que 158 minutes… ce qui est déjà beaucoup vous me direz. À l’origine, ce film était destiné à une sortie exclusive sur Apple TV+. Le film bénéficie finalement d’une sortie en salles, avant d’être disponible à une date ultérieure sur la plateforme de streaming. Si les salles, effectivement « bénéficient » de cette sortie anticipée, je ne suis pas sûr que le spectateur, lui, soit le grand « bénéficiaire » de cette décision. Car de toute évidence, l’œuvre a été victime de fameux coups de serpe la rendant tellement elliptique qu’il est parfois difficile de relier les événements les uns aux autres. Avant d’assister à décapitation de Marie-Antoinette, une phrase s’inscrit sur l’écran : La misère qui règne en France a conduit à la Révolution française, qui a elle-même engendré davantage de misère, ce qui résume avec quel parti pris, la vie de Napoléon va nous être racontée. Bon, on sait que Ridley Scott et la vérité historique ça fait deux, mais quand en plus, la mauvaise foi s’en mêle… Un jeu de massacre techniquement brillantissime, visuellement grandiose. Mais l’ensemble n’est qu’un survol partisan du grand homme. Alors, les amateurs de show seront conquis, les cinéphiles acharnés resteront sur leur faim.  

Joaquin Phoenix est un grand acteur et campe un Napoléon tout à fait honorable. Vanessa Kirby, en Joséphine craquante, est tout à fait à sa place. A citer dans une distribution pléthorique, Tahar Rahim et Rupert Everett. Que la volonté affichée de nous dépeindre un Napoléon sous un jour moins glorieux, soit ! – je ne suis d’ailleurs pas un admirateur béat du personnage -, mais en arriver à cet espèce de brouillon confus et simplement allusif est indigne de ce cinéaste. Du grand spectacle sans vision politico-historique. Un biopic version digest, taillé au scalpel.

Flo

Un film qui prend l’eau de toutes parts

Quand on sort du biopic sur l’Abbé Pierre et qu’on doit le comparer avec celui que Géraldine Danon consacre à Florence Arthaud, on tombe de Charybde et Scylla… Connue comme « la petite fiancée de l’Atlantique », Florence Arthaud fut surtout une grande navigatrice. Son palmarès exceptionnel, et unique dans cet univers masculin, connut son apogée avec sa victoire de la Route du Rhum en 1990. Au-delà de ces exploits, ce biopic raconte l’incroyable destin d’une femme farouchement libre qui – après un accident de la route ayant failli lui coûter la vie – décide de rejeter son milieu bourgeois et la vie qui lui avait été tracée, pour vivre pleinement ses rêves. 125 minutes aussi longues et épuisantes qu’une traversée de l’Atlantique en solitaire. Vulgaire comme une sitcom et largement aussi insupportable.

La mer est belle, la nature, est splendide, l’héroïne est craquante, les scènes de régate très soignées… mais tout ça ne fait pas un bon film, il s’en faut de plusieurs miles nautiques. On regrette donc d’un bout à l’autre que les exploits et la carrière de marin – au féminin -, passent au second plan derrière une vie amoureuse pour le moins aussi agitée que la haute mer. Et puis, ce tsunami de scènes de sexe souligné par un maelstrom de vulgarité – même si, je suis bien conscient que ces moments d’intimité n’engendrent pas forcément des dialogues teintées de pure poésie -, finit par nous submerger. Sans parler de la misogynie pesante des 70’s donc d’une époque qu’on espère révolue… Le biopic passe le plus souvent à côté de son sujet et c’en est embarrassant. Racoleur et hystérique.    

Stéphane Caillard, qui est d’une beauté solaire, est essentiellement apparue dans des séries TV avant de décrocher ce 1er grand rôle. Le film repose sur elle et ses épaules – très souvent dénudées – se révèlent certes charmantes mais un peu frêles pour incarner un personnage de la trempe et de la force de Florence Arthaud. Elle est entourée par Alison Wheeler, Pierre Deladonchamps, Alexis Michalik, Maryline Canto, Charles Berling, qui font ce qu’ils peuvent pour survivre au naufrage. Cela dit, il faut savoir que la réalisatrice est la femme du navigateur Philippe Poupon et que sa description plus qu’à charge du monde de la course au large pue le règlement de compte. Je ne suis sûr de rien mais mon intuition me dit que je ne dois pas être loin de la vérité. A vous flanquer le mal de mer… j’ai failli écrire « mâle de mer ».    

L’Abbé Pierre – Une vie de combats

La voix des sans voix

Il n’y a que du bon – et parfois du très bon – dans le cinéma de Frédéric Tellier, comme L’Affaire SK1, Sauver ou périr et Goliath.  Cette fois, il a décidé de faire dans le biopic et en choisissant le charismatique Abbé Pierre, il tenait de toute évidence un excellent sujet. Mais 138 minutes, c’est long… sans doute trop. Né dans une famille aisée, Henri Grouès a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, son engagement auprès des plus faibles lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz de marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Ses fragilités, ses souffrances, sa vie intime à peine crédibles sont restées inconnues du grand public. Révolté par la misère et les injustices, souvent critiqué, parfois trahi, Henri Grouès a eu mille vies et a mené mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre. Le synopsis à lui seul nous montre combien ce film va souffrir d’une sorte de trop plein d’informations. Certes, l’Abbé Pierre a eu une vie intense, – et le mot est faible -,  il y avait de quoi faire soit deux films, soit une série télévisée, dont je suis bien sûr qu’elle aurait connu un grand succès. Une fois de plus, qui trop embrasse…

C’est vrai qu’on apprend énormément de choses sur la vie et l’œuvre d’Henri Grouès. Pour ma part, je ne savais pratiquement rien sur sa jeunesse, son engagement dans l’armée en 1940 puis dans la Résistance, en l’occurrence le célèbre maquis du Vercors, puis sa rencontre avec Lucie Coutaz, dont le rôle dans la création d’Emmaüs a été primordial. J’ignorais également son passage à l’Assemblée Nationale, le fait qu’il ait survécu à un naufrage et bien d’autres détails édifiants qui ont fait de lui l’homme qu’il est devenu. Bien sûr, je suis comme tout le monde, je connais les années de son combat pour les plus démunis à partir essentiellement de l’hiver 54, et son appel poignant à la radio… Je suis loin de pouvoir ici faire allusion à tous les épisodes qui jalonnent ce biopic monumental. – D’ailleurs, le film de Denis Amar en 1989 fait pâle figure à côté de cet énorme récit des mille vies et mille combats – comme le dit le pitch – de celui qui restera longtemps la personnalité préférée des français. Les moyens – près de 16 millions de budget – sont énormes, les décors, les costumes, les maquillages, – une catégorie à récompenser de toute urgence aux César -, le tout pour une reconstitution qui retrace une période de près de 70 ans… colossal. Mais en fin de compte, contrairement à ce que nous dit le proverbe : abondance de biens peut nuire. Ça va trop vite, on s’y perd et on a l’impression d’enjamber des moments très forts de la vie de celui qui répétait sans cesse ne jamais s’habituer à la souffrance de l’autre.

Evidemment, et ce n’est pas moi qui vais dire le contraire puisque je le soutiens dans ces chroniques depuis des années, Benjamin Lavernhe est un acteur majuscule. Il est de tous les plans et semble totalement habité par l’écrasante personnalité qu’il incarne avec une force et une conviction qui forcent l’admiration. Là encore on parle César. A ses côtés, Emmanuelle Bercot, qui, pour l’occasion, oublie ses personnages outrés et hystériques, trouve là, et de très loin, son meilleur rôle à ce jour. De la distribution pléthorique qui les entoure je retiendrai les prestations de Michel Vuillermoz et Antoine Laurent. Tout est évidemment très bien mis en images et ça nous plonge dans un long – très long – enchaînement d’épisodes, dont certains frisent l’invraisemblable… et pourtant, tout ça est garanti d’un réalisme minutieux, de l’Histoire à l’état pure. Mais l’abbé Pierre est bien entré dans nos cœurs et dans l’Histoire, un certain 1er février quand la France a entendu sur les ondes de Radio Luxembourg : Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsé… Aujourd’hui à l’approche de l’hiver 2023, on nous annonce 330 000 personnes sans domicile dans notre pays… La messe est dite Monsieur l’Abbé.  

Le consentement

L’uppercut

Le film de Vanessa Filho est adapté du livre éponyme de Vanessa Springora, publié pour la première fois en janvier 2020. Ce récit autobiographique, qui raconte l’emprise et les abus sexuels dont elle a été victime de la part du romancier Gabriel Matzneff depuis leur rencontre à ses 13 ans, a fait grand bruit lors de sa sortie. Paris, 1985. Vanessa a treize ans lorsqu’elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l’amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique. Se perdant dans la relation, elle subit de plus en plus violemment l’emprise destructrice que ce prédateur exerce sur elle. 120 minutes pour laisser voir sans montrer, sans être explicite et sans non plus donner une image idyllique de quelque chose d’affreux, voilà la gageure de ce drame. Même si le film est par moment insoutenable, il est d’utilité publique et d’une grande maîtrise. On n’en sort pas indemne.  

Je n’ai pas lu le livre qui a inspiré ce film, mais on dit l’adaptation très fidèle. Mais, les images étant souvent plus explicites que les mots, on mesure le danger de mettre à l’écran cette relation aussi glaçante que sulfureuse. On ressent tout au long, face aux agissements de Gabriel Matzneff un mélange de malaise, de colère et d’impuissance. A l’instar du livre avait beaucoup dérangé en 2020, espérons que ce film aura le même effet. Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue pour analyser cette histoire qu’elle se déroule à une époque – il y a près de 40 ans -, où la littérature était placée au-dessus de tout, même de la morale. D’où cette histoire d’une emprise qui est méticuleusement démontée, mettant en scène toutes les étapes de cette relation perverse dans laquelle une toute jeune fille confond amour et sexualité, ce qui, au demeurant, est inhérent à son jeune âge et donc son inexpérience. Le crescendo de la manipulation, les techniques de séduction – même les plus abjectes -, le rejet, l’humiliation, tout est disséquée avec précision et réalisme. Un film très dérangeant, mais il est parfois utile d’être dérangé.  

Pour incarner Vanessa, il fallait un visage nouveau. C’est Kim Higelin, – qui avait 20 ans au moment du tournage -, petite-fille du grand Jacques dont c’est la 1ère apparition au cinéma, qui a été choisie. Elle est absolument bouleversante. Mais que dire de la composition de Jean-Paul Rouve, physiquement plus Matzneff que l’original. Endosser le rôle d’un tel salaud demande à la fois du courage et un fameux talent. Rouve a les deux. Ajoutons à ce casting  Laetitia Casta et Elodie Bouchez, impeccables toutes les deux. Voici donc l’histoire d’un monstre qui, suite à la parution du témoignage de Vanessa Springora, a été entendu par les policiers de l’Office central de répression des violences aux personnes, sur tous les éléments réunis dans le cadre de l’enquête, notamment sur ses propres écrits. Plusieurs autres femmes – dont la journaliste américaine Francesca Gee, à laquelle il est fait allusion dans le film -, ont témoigné de faits similaires également prescrits. Depuis, L’immonde personnage s’est retiré en Italie, où, âgé aujourd’hui de 83 ans, il file des jours tranquilles.

Bernadette

La vengeance d’une blonde

Léa Domenach est la fille de la journaliste et romancière Michèle Fitoussi et du journaliste politique Nicolas Domenach, spécialiste notamment de Jacques Chirac. Pour son 1er film, je ne suis pas certain qu’elle ait entièrement maîtrisé son sujet. Ou plutôt faudrait-il dire qu’à un moment donné, il lui a échappé. Quand elle arrive à l’Elysée, Bernadette Chirac s’attend à obtenir enfin la place qu’elle mérite, elle qui a toujours œuvré dans l’ombre de son mari pour qu’il devienne président. Mise de côté car jugée trop ringarde, Bernadette décide alors de prendre sa revanche en devenant une figure médiatique incontournable. 92 minutes plus que brillantes pour décrire par le menu les années Chirac à l’Elysée – 1995 / 2002 – et surtout le rôle grandissant que sa femme a joué durant ces présidences. Une sorte de biopic-fiction – si je puis me permettre ce néologisme – brillant, souvent drôle, qui tourne à la satire politico – féministe. Et puis quel casting !!!

Le ton est donné dès les 1ères images du film, avec une sorte de chœur antique qui va ponctuer les différents épisodes de l’histoire. D’emblée, Léa Domenach ne voulait pas prendre son sujet trop au sérieux. Bien qu’elle ne soit pas issue de la même génération ni du même milieu et qu’elle ne partage pas le même bord politique, elle a découvert peu à peu des aspects peu connus de l’action de Bernadette Chirac dans la carrière de son mari. Ce film est devenu  une façon de regarder la grande histoire par le prisme de la petite. L’humour aura permis de prendre de la distance tout en faisant passer un certain nombre de messages, sur les jeux cyniques de la politique et sur le féminisme. D’aucuns trouveront sans doute que ce n’est pas assez caustique et que la plume de la cinéaste a trop vite abandonné le vitriol pour une vraie tendresse pour son personnage. Bernadette sort quasi indemne de ce film alors que les politiques prennent cher. Réjouissant, très bien écrit, mais je me demande bien ce que la famille Chirac pensera de cette comédie politique.

Comme je l’ai dit plus haut, le casting est l’atout le plus fort de ce film. Evidemment, la grande Catherine Deneuve est impériale. En son temps, elle avait prêté ses traits à Marianne, la voici 1ère Dame de France. Denis Podalydès, égal à lui-même… donc excellent, Michel Vuillermoz immense en Chirac plus vrai que nature, Sara Giraudeau, Laurent Stocker, Lionel Abelanski, Artus, Maud Wyler, François Vincentelli, sont tous parfaits parfois pour de simples apparitions. Ils se sont visiblement beaucoup amusés – et c’est contagieux -, pour ce jeu de massacre plein d’une tendresse inattendue. D’accord avec Nino Ferrer : Bernadette, elle est très chouette.