Lara Jenkins

Une journée particulière

J’avais, comme beaucoup, découvert Jan-Ole Gerster en 2013 avec son excellent Oh Boy ! C’est donc avec plaisir que je voulais le retrouver dans les 98 minutes d’un drame tendu qui nous parle de frustration et des difficiles relations mère/fils. Comme tous les autres matins, Lara débute sa journée par une cigarette et une tasse de thé. Aujourd’hui est un jour important : elle a 60 ans et c’est le premier concert de piano donné par son fils Viktor. Elle le soutient depuis ses débuts et se considère comme déterminante dans son succès. Mais Viktor est injoignable depuis des semaines et Lara semble ne pas être conviée à l’événement, contrairement à son ex mari et sa nouvelle compagne. La journée va alors prendre un tour inattendu. Très beau portrait de femme, incapable de donner de l’amour et qui, après avoir été « démolie » à l’adolescence, démolit à son tour, dans une spirale mortifère, tous ceux qui l’approchent. Glaçant et bouleversant.

Lara ne s’aime pas et n’est guère appréciée des autres, elle est froide, cassante, péremptoire … et, de toute évidence cache un secret, celui qui a bouleversé son existence. Le film prend tout son temps pour nous donner la solution qui donne lieu à une dernière scène spectaculaire, débordante d’émotion. C’est un film à combustion lente, excellemment écrit et dirigé. Certes, ce drame est pesant. Oser un film sur la frustration, – celle de la femme qui est passée à côté de sa vie et de ses rêves, celle du fils incapable de satisfaire sa mère -, est évidemment une gageure. Pour le jour de ses 60 ans, elle remonte les rues de sa ville, en même temps que son passé. Et tout s’éclaire peu à peu sur son passage, ces gens qu’elle n’aime pas ou qui lui échappent, ses contrariétés du moment ou de toujours, un cheminement complexe, jalonné de doutes et d’incertitudes pour elle – comme pour le spectateur -. Le malaise est total, mais le plaisir du cinéphile est au rendez-vous.  

Corinna Harfouch, star en Allemagne quasiment inconnue de ce côté-ci du Rhin faute d’avoir tourné hors de son pays, est une actrice +++ à découvrir de toute urgence. Tom Schilling,- déjà 1er rôle dans Oh Boy !, lui donne une réplique parfaite tout comme André Jung et Volkmar Kleinert. C’est de la tragédie classique qui obéit à la règle des 3 unités et qui parvient à tenir en haleine malgré son caractère plus que plombant et dont le scénario va crescendo… la moindre des choses dans un film sur la musique. Une fable touchante et monstrueuse sur une passion vécue par procuration. Gerster fait penser à Haneke, et Corinna Harfouch à Isabelle Huppert à son sommet. Des compliments largement mérités.  

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