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L’Affaire Vinča Curie

Les gardiens de la formule

Dragan Bjelogrlic est serbe… Tiens, tiens, un film serbe sur nos écrans… ???  Serbe, oui, mais pas que. Octobre 1958, en pleine guerre froide, des scientifiques yougoslaves sont gravement irradiés dans le cadre d’une mission tenue secrète. Ils sont soupçonnés de travailler à la fabrication d’une bombe nucléaire. Rapatriés en France, ils sont pris en charge par le professeur Mathé à l’Institut Curie. Une course contre la montre s’engage alors pour les sauver… 120 minutes bâties comme un thriller qui retrace une histoire inconnue en France, les travaux du professeur Mathé sur la greffe de moelle osseuse dans un contexte historique de guerre froide et de course à l’armement nucléaire. Solide, glaçant… et historique.

Atmosphère à la John le Carré, suspense savamment entretenu – faut dire, que le film est basé sur des faits réels que tout le monde ou à peu près ignore – reconstitution soignée, rythme soutenu grâce à un montage nerveux, et une interprétation au-dessus de tout soupçon. Tout est parfaitement réuni pour ce suspense d’espionnage et de médecine, Dans ce thriller, entièrement filmé dans les tons glauques, évoquant irrésistiblement l’époque de la guerre froide, on nous propose un récit où les divergences idéologiques s’estompent au profit de l’humanisme. De plus le scénario parvient à éviter toute mièvrerie ou sentimentalisme pesant, ce qui met d’autant mieux en exergue le message humaniste final : la médecine contribue au bien de la civilisation, à condition qu’une démarche éthique l’accompagne. Quant à l’appel à la solidarité des hommes, beaucoup devrait non seulement l’entendre mais aussi l’appliquer. Notre monde irait sans aucun doute beaucoup mieux. Je sais, c’est de l’utopie… tant pis, laissez-moi rêver.

Le casting franco-serbe fait merveille avec en haut de l’affiche le duo Radivoje Bukvic / Alexis Manenti. Ils sont très bien épaulés par Jérémie Laheurte, Lionel Abelanski, Anne Serra, et des acteurs serbes aux noms imprononçables mais de grande qualité. Tension diplomatique, suspense scientifique, histoires humaines et beaucoup de qualités techniques… un bon film qui nous en apprend beaucoup et fait appel au recul sur le monde d’aujourd’hui. Utile et passionnant.

Bâtiment 5

Ladj Ly : volet 2

Ces 100 minutes constituent le 2ème film de Ladj Ly qui, en 2019, avait frappé très fort avec Les Misérables. – 15 récompenses, dont 4 César et 5 récompenses à Cannes -. Question cruciale : cette acte II va-t-il rencontrer le même succès ? Haby, jeune femme très impliquée dans la vie de sa commune, découvre le nouveau plan de réaménagement du quartier dans lequel elle a grandi. Mené en catimini par Pierre Forges, un jeune pédiatre propulsé maire, il prévoit la démolition de l’immeuble où Haby a grandi. Avec les siens, elle se lance dans un bras de fer contre la municipalité et ses grandes ambitions pour empêcher la destruction du bâtiment 5. Je vous fiche mon billet, que Ladj Ly devrait marquer notre cinéma avec sa manière bien à lui de dénoncer l’absurdité et l’injustice de notre société. Ici encore, mission pleinement réussie.

Cette fois, il tente l’expérience du film choral qui explore des histoires dans l’histoire, de la trajectoire d’un maire à celle d’une militante associative, de son ami ou du maire adjoint. C’est parfaitement maîtrisé grâce à un rythme très soutenu, une caméra virtuose, un montage au cordeau et une interprétation remarquable – j’y reviens dans un instant -. Le constat politique est limpide : il est temps de repenser les choses en cherchant des pistes, de nouveaux moyens de faire, mouvement de fond symbolisé par la jeune militante locale face à l’immobilisme et l’aveuglement d’une politique de droite dure qui détient encore le pouvoir mais ne comprend plus rien à notre monde. Le cinéaste a vécu, dans sa jeunesse à Montfermeil, ce type de plan de rénovation urbaine qui relevait purement et simplement d’une immense arnaque financière et morale. Cette fois, le scénario laisse une large place aux femmes, qui, à l’instar de son héroïne, insuffle un peu d’espoir dans toute cette grisaille. Je le répète, Ladj Ly ne déçoit pas avec ce 2ème long métrage dont le propos très fort et d’actualité sait éviter le manichéisme et la caricature. Ça sonne vrai et juste.

En haut de l’affiche, une quasi débutante, la jeune Anta Diaw, à laquelle on peut prédire une belle carrière – peut-être couronnée par un César en 2024 ? -. On retrouve l’impeccable Alexis Manenti, – à l’affiche également dans Le ravissement -, Aristote Luyindula, Steve Tientcheu, Aurélia Petit, Jeanne Balibar, et une foule de petits rôles et figurants venus de cette France des quartiers oubliés de la République. Ladj Ly savait qu’après le choc des Misérables, son deuxième film allait être scruté, sans doute plus qu’un autre. Tout en conservant ses problématiques, il a su se renouveler, dans l’approche et la forme plus ample, en prenant soin de ne condamner personne sans comprendre ou analyser. Même si l’effet de surprise n’est plus là, ça reste de l’excellent cinéma politique. A voir !

Le ravissement

Par procuration

Pour son 1er film, on ne peut qu’espérer un succès pour cette nouvelle venue, Iris Kaltenbäck. Un scénario très original, une belle direction d’acteurs, une mise en scène maîtrisée, 97 minutes qui ont tout pour plaire. Comment la vie de Lydia, sage-femme très investie dans son travail, a-t-elle déraillé ? Est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de sa meilleure amie Salomé, ou la rencontre de Milos, un possible nouvel amour ? Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges et leur vie à tous bascule… Un drame d’une justesse inouïe qui surprend et bouleverse. A voir !

C’est en lisant un fait divers dans les journaux que la cinéaste a eu l’idée de raconter le bouleversement d’une amitié et la naissance d’une histoire d’amour autour d’un même mensonge. On retrouve ici, à une échelle intime, de grandes questions politiques d’aujourd’hui. On parle beaucoup de ce que provoque l’arrivée d’un enfant dans un couple, mais moins de ce que ça déclenche dans une amitié. Moi, qui ne suis pas un grand fan des voix off, je dois reconnaître qu’en l’occurrence, celle-ci pose des questions sans forcément donner les réponses. Elle raconte comment, l’héroïne est d’abord victime de ce qu’on pourrait appeler un « déni de chagrin » et comment les traumas peuvent resurgir de manière décalée. Au-delà de cette étude psychologique, le film sait faire le lien entre une grande liberté romanesque et un ancrage fort dans le réel. Cette quête éperdue au pays du mensonge constitue franchement une très belle surprise qu’il ne faut pas manquer.

En tête d’affiche on trouve la formidable Hafsia Herzi, qu’on avait découverte dans La Graine et le mulet, L’Apollonide, puis Tu mérites un amour. Elle a un jeu très personnel qui peut dérouter mais qui, ici, cadre parfaitement avec la psychologie de son personnage pour le moins tourmenté. Sans doute le meilleur rôle de sa carrière à ce jour. Elle est encadrée à merveille par Alexis Manenti et Nina Meurisse, Ce film – présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes 2023, où il a obtenu le Prix SACD -, s’avère d’une rare élégance dans le registre assez rare du thriller intime, de la tragédie feutrée, et d’un récit captivant des zones troubles de nos esprits. Une cinéaste pleine de promesses.  

K contraire

Konvenu !

Seulement 83 minutes… aujourd’hui, le drame social de Sarah Marx fait carrément figure de court métrage.  Quand Ulysse, 25 ans sort de prison, il doit gérer sa réinsertion et la prise en charge de sa mère malade. Sans aide sociale, il lui faut gagner de l’argent et vite. Avec son ami David, ils mettent en place un plan. Mais rien ne se passe comme prévu. Malgré sa star et sa belle découverte, ce 1er film est décevant, maladroit et approximatif. Sans doute en attendais-je trop, mais je suis franchement resté sur ma faim. « Krrément » déçu. Lire la suite